Amours en marge - Yoko Ogawa

Amours en marge - Yoko Ogawa

Une valse lente entre des oreilles et des doigts. Un amour onirique entre une jeune femme et un sténogaphe. Une véritable fusion entre la mémoire et les mots.  C'est ce que nous relate Yoko Ogawa dans son premier roman long, écrit en 1991.

Le résumé en quelques mots : Une jeune femme se voit hospitalisée à cause de l'apparition de troubles auditifs coïncidant avec sa séparation d'avec son mari. Elle rencontre Y, un sténographe, lors d'une réunion pour un magazine de santé où elle témoigne des symptômes de sa maladie. Subjuguée par les mains et l'activité de ce dernier/celles-ci, elle va le rencontrer à plusieurs reprises, les oreilles de cette femme et les doigts du sténographe semblant s'attirer comme des aimants. Elle lui demandera un service : transcrire par des mots les bourdonnements de ses oreilles. S'en suit alors une danse envoûtante et intrigante...

Un roman très surprenant de par : la lenteur du récit; ces personnages  anonymes, à l'exception des personnages secondaires; ces décors flous (hôpital, hôtel, maison de la narratrice, musée) qui ressemblent à des décors de théâtre. 
Tout au long du récit le lecteur avance sur des sables mouvants, tout semble cohérent et réaliste mais reste insaisissable. L'élément le plus palpable est en fait le vide, le silence, l'absence, le blanc. Le lecteur cherche des repères, les personnages semblent être des ombres, comme le sténographe qui ne cesse d'apparaître et de disparaître mystérieusement au fil du roman. L'histoire d'amour qui se tisse entre la protagoniste malade des oreilles et le sténographe semble quant-à elle, très vaporeuse, puisque, en somme, les personnages ne créent pas de véritable lien amoureux, ce sont les oreilles de la première et les doigts du second qui s'unissent au fil des pages pour finir en total communion : les sons qui habitent les oreilles malades et les mots qui naissent des doigts du sténographes finiront par ne former plus qu'un, par être en total symbiose.

La mémoire en question : Au-delà de ce récit étrange et envoûtant, nous retrouvons toute la symbolique chère à l'auteur, celle  du souvenir.   Sans que l'on ne s'en aperçoive d'un premier abord, c'est bien le thème du souvenir qui constitue la clef de voûte du roman. Comment dire le souvenir ? Les mots ont-ils le pouvoir de restituer le souvenir ? De se substituer à la mémoire ? Les mots ici vont être le véritable remède au temps qui passe : lorsque celui-ci a pu être figé, consigné, fiché, tout peut alors reprendre sa place,  la vie peut alors reprendre son cours.
Sans que l'on s'y attende, l'auteur offre un dénouement à un récit qui ne semblait pas en appeler. Ce dénouement éclaire alors le récit d'une toute autre lumière et le lecteur se voit totalement destabilisé : ce qui lui semblait être de fausses impressions prend alors sens, tout bascule soudain dans une dimension quasi fantastique, offrant un merveilleux panorama rétrospectif ayant pour thème la mémoire.
Une écriture pleine de grâce, de poésie, de légèreté tout en étant troublante à la fois.

Un petit passage : 
- (...) Mais quand vas-tu te réapprovisionner en papier ? lui ai-je demandé et, serrant les lèvres, il a reporté son regard vers le ciel au-delà de la véranda. Il s'y découpait un fin croissant de lune.
- Il n'y aura pas d'autre papier, répondit-il, comme s'il s'adressait aux ténèbres de la nuit.
En écoutant sa voix se fondre dans l'obscurité, je me demandais pourquoi il disait cela. Alors que chacun de ses mots était facile à comprendre et que sa voix était douce, j'avais l'impression qu'ils grinçaient les uns contre les autres en de cruelles résonances.
- C'est tout ce que j'ai préparé pour la mémoire de tes oreilles. Il n'y en a ni trop, ni trop peu. Ce n'est pas nécessaire
    En bref, un premier roman qui contient en condensé les thèmes chers à l'auteur, qu'elle développera ensuite dans ses autres romans. Ce n'est pas celui que j'ai préféré parmi ceux que j'ai lu, toutefois, ce roman a beaucoup marqué mon esprit et reste très captivant pour ceux qui aiment se plonger dans l'univers de Yoko Ogowa de par les ponts qu'il tissent avec ses autres romans et les comparaisons intéressantes qu'il suscite. 7/10


A lire :
Mon billet sur Cristallisation secrète, roman
Mon billet sur La mer, recueil de nouvelles
Mo billet sur La Marche de Mina, roman


Auteur: Yoko Ogawa
Traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle
Editions Actes Sud
Collection "Lettres japonaises"
Paru en janvier 2005 (France)
190 pages

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