Petit Pays - Gaël Faye

Petit Pays - Gaël Faye

Si ce roman était un pays : le Burundi. S’il était un évènement historique : le génocide rwandais. S’il était un personnage : un petit garçon de 10 ans.

Impossible de passer à côté de ce roman qui suscite beaucoup d’intérêt dans le monde littéraire. Surprise de cette rentrée littéraire 2016, Petit pays n’a pas fini de faire parler de lui.

L’auteur, Gaël Faye, est connu dans le domaine de la musique. Son album, Pili pili sur un croissant au beurre, sorti en 2012, contenait déjà la genèse de ce qui allait devenir un roman. Le dernier titre de l’album qui s’intitule « Petit pays » plantait déjà le décor. CLIP VIDEO (en bas de la page)

Le souvenir de la terre natale est le moteur de l’écriture de ce roman. Comme le narrateur l’évoque à la fin du livre lors de sa lecture du poème de Jacques Roumain offert par sa voisine grecque avec qui il partage sa passion pour la littérature : "Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes… » 

Ce poème semble être le point de départ de cette écriture axée sur la nostalgie de l’enfance au pays, de ce désir de faire sortir de l’ombre les décors et l’histoire qui ont constitués la personne de l’auteur. 

De la poésie, du rythme, c’est ce que l’on trouve dans l’écriture de Gaël Faye, rodé à l’exercice de la composition de chansons. Celui-ci adopte toujours, avec une simplicité déconcertante, le ton juste

J’avoue que durant les premières pages, du roman, ce rythme m’a perturbée. J’avais l’impression de lire un texte à slamer, je scandais chaque phrase dans ma tête, relevais tout les effets de rimes etc. J’ai eu du mal à me détacher de ce rythme qui heurtait ma lecture et m’empêchait de me plonger vraiment totalement dans l’histoire. J’avoue aussi (et surtout) que juste avant de me plonger dans la lecture de Petit pays, j’ai eu la curiosité d’écouter l’album de Gaël Faye. Ce rythme était-il encore imprimé dans mes oreilles ou alors, l’écriture au départ est-elle empreinte de ce rythme et se dénoue-t-elle réellement dans la suite du roman ? Je ne saurais le dire avec certitude. 

Le récit débute calmement, aucune action ne survient vraiment dans les premiers chapitres, le narrateur plante le décor et les personnages. Il nous dépeint l’enfance de Gabriel, que tout le monde appelle Gaby et qui a dix ans. Il vit à Bujumbura au Burundi avec sa famille : son père, entrepreneur français, sa mère, rwandaise, qui a fui son pays après les massacres de 1963, et sa petite sœur Ana. Dans l'entourage il y a Donatien, le contremaître du père, un zaïrois immigré au Burundi pour le travail, Innocent, un jeune burundais chauffeur et homme à tout faire, et Prothé le cuisinier. Certes les parents ne s’entendent pas bien, on s’attend au pire à une séparation. Mais c’est sans compter sur la menace qui enfle de l’autre côté de la frontière, au Rwanda. Le Burundi ne sera pas épargné et les tensions entre Hutus et Tutsis se transforment rapidement en guerre civile. 

Plus le récit avance, plus on sent le massacre arriver comme un orage, ou plutôt, comme un rouleau compresseur qui va tout anéantir sur son passage : l’innocence de l’enfance, la douceur de vivre dans un pays aux décors superbes, des vies, par milliers. Tout cela face au silence du monde, l'inaction des organisations internationales. 

La fin est poignante. En fait, le livre commence calmement pour, au fil des pages, instaurer une terrible tension, au fur et à mesure que le narrateur se sent plonger dans la guerre et prend malgré lui conscience de son atroce réalité

Voici quelques passages que j'ai beaucoup aimé et qui traduisent le mélange de douceur et de violence contenues dans les souvenirs du narrateur. 

Tout d'abord, ce doux passage qui évoque la relation entre Madame Economopoulos, sa voisine grecque, et le narrateur de dix ans qui découvre la joie de la lecture
J’ai pris l’habitude de lui rendre visite tous les après-midi. Grâce à mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau, le monde s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs. (…) Avec Madame Economopoulos, nous nous asseyions dans son jardin sous un jacaranda mimosa. Sur sa table en fer forgé, elle servait du thé et des biscuits chauds. Nous discutions pendant des heures des livres qu’elle mettait entre mes mains. (…) Dans ce havre de verdure, j’apprenais à identifier mes goûts, mes envies, ma manière de voir et de ressentir l’univers. (…) Après avoir bien discuté, lorsque l’après-midi s’évanouissait dans la lumière du couchant, nous flânions dans son jardin comme de drôles d’amoureux. (…) Je ramassais des feuilles séchées au pied des arbres pour en faire des marque-pages… 
 Mais l’écriture de Gaël Faye c’est aussi le sens des formules choc de par les images qu’elles véhiculent. En voici une :
Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. 
Enfin, voici deux extraits emprunts d’un mélange de douceur et de violence
Certains soirs, le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux ou l’appel du muezzin, et il m’arrivait de trouver beau cet étrange univers sonore, oubliant complètement qui j’étais.
Ici, après que le narrateur vient d’assister au lynchage d’un homme en pleine rue :
La circulation était dense, les minibus klaxonnaient, les petits vendeurs proposaient des sachets d’eau et de cacahuètes, les amoureux espéraient trouver des lettres d’amour dans leur boîte postale, un enfant achetait des roses blanches pour sa mère malade, une femme négociait des boîtes de concentré de tomates, un adolescent sortait de chez le coiffeur avec une coupe à la mode, et, depuis quelques temps, des hommes en assassinaient d’autres en toute impunité, sous le même soleil de midi qu’autrefois. 

Pour finir, je tenais à évoquer les lettres de toute beauté contenues dans le roman. Les lettres que le narrateur écrit à Laure, sa correspondante française, sont de purs moments de poésie et d’émotions, notamment celle du chapitre 30 avec la métaphore filée de la neige. Mais aussi, celle écrite à son cousin Christian, chapitre 27. Je ne les retranscrirai toutefois pas ici car elles révèlent trop de choses concernant l’intrigue mais aussi tout simplement pour vous laisser le plaisir et la surprise de les découvrir… 


    En bref, un roman d’une force inouïe. Par ailleurs, on apprend beaucoup de choses sur l’histoire du Burundi, que nous ne serions pas allées chercher par nous-mêmes, à travers le regard d’un enfant qui se retrouve imprégné de ces évènements malgré lui. Une écriture simple et efficace, une tension qui ne cesse de croître et des émotions qui atteignent leur point culminant au dernier mot de la dernière phrase... 9/10 

NB: Gaël Faye a reçu le Prix du roman Fnac pour Petit pays, ainsi que le Prix Goncourt des Lycéens.

CLIP VIDEO de "Petit Pays", issu de l'album Pili pili sur un croissant au beurre.



Auteur: Gaël Faye
Editions Grasset
Paru en août 2016
224 pages

2 commentaire(s):

XL a dit…

quel bel avis, bien argumenté et juste

Miss Jo a dit…

Merci XL, as-tu lu le roman de Gaël Faye ?

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