La littérature japonaise est pleine de surprises et la découverte de cet auteur en est la preuve !
- Le décor : une île.
- L'intrigue: des "objets" disparaissent un à un, définitivement, de la vie de l'île (les oiseaux, les roses, les photos ...), ce phénomène survient de manière aléatoire et est commandité par la police de l'île, "la police secrète".
- Les personnages : la narratrice (on ne connaît pas son nom), elle est romancière; le grand-père, c'est un vieil ami de la famille de la narratrice; R., il est l'éditeur de la narratrice; la police secrète; quelques voisins de la narratrice.
- L'ambiance: "kafkaïenne" dans sa définition, en tant que "qui a un caractère étrange, oppressant et absurde". Nous sommes plongés dans l'ambiance du Procès de Kafka, par exemple: le personnage est contraint d'accepter une situation absurde, illogique, brutale et tragique; il est entraîné dans une situation qu'il ne comprend pas, jusqu'à son paroxysme. Dans Cristallisation secrète, les personnages se rendent-compte que les objets disparaissent certains matins au réveil, mais ils sont contraints de l'accepter car leur mémoire de l'objet s'efface elle aussi simultanément. L'objet peut rester présent matériellement, mais il n'existe plus officiellement, ni dans le ressenti des gens.
- Un huit-clos: l'histoire se déroule sur une île, plus précisément, une grande partie du roman se déroule dans la maison de la narratrice; mais en plus, l'attention du lecteur est amené à se concentrer sur une chambre cachée: un tout petit réduit aménagé entre le plafond du rez-de-chaussée et le sol du premier étage. C'est là que la narratrice va cacher son éditeur lorsqu'elle s'apercevra que lui, n'oublie pas les "objets" et qu'il devient alors potentiellement la proie des traqueurs de souvenirs... Par ailleurs, ce procédé du huit clos pousse le lecteur à s'attacher intensément aux personnages par la promiscuité qu'il impose.
- L'écriture: elle se caractérise par la nostalgie et la mélancolie qu'elle évoque chez le lecteur, elle est superbe. Les images sont à la frontière du poétique et de l'onirique.
- Une "histoire dans l'histoire": l'auteur utilise le procédé de mise en abîme pour intensifier le climat qu'elle souhaite installer et le message qu'elle veut faire passer. En effet, la narratrice du roman, qui est romancière, écrit elle-même un roman dont elle nous dévoile de larges extraits. Il s'agit de l'histoire d'une élève dactylographe qui tombe amoureuse de son professeur, lequel va lui voler sa voix. A nouveau, cette histoire nous plonge dans un climat oppressant avec l'impossibilité de s'exprimer et l'enfermement. Cette "histoire dans l'histoire" n'est pas anodine, elle permet à l'auteur (Yoko Ogawa) de mettre à jour sa propre démarche: elle-même dénonce un régime politique totalitaire à travers l'écriture de Cristallisation secrète, de la même manière que la narratrice du roman dénonce le climat d'oppression de l'île dans son propre roman à travers l'histoire de la jeune dactylographe. Cette mise en abyme permet ainsi à Yoko Ogawa d'insérer subtilement l'Histoire dans l'histoire.
- Un passage à savourer: "Les mots alignés composés des lettres de l'alphabet dégagent une impression différente de celle qu'elles produisent lorsqu'on les prononce. La légère dépression qui reste sur le papier après que la lettre a été frappée. L'encre qui bave. Le J qui penche légèrement comme s'il allait tomber. Le M dont l'angle du milieu, un peu abîmé, est dentelé. Ce genre de chose me les rend braves et familières. Même si je pense qu'un jour il va falloir que je fasse réparer ses deux lettres." Cette mystérieuse impression de nostalgie provoquée par l'écriture revient fréquemment dans le texte.
- Mon héros: le grand-père. Le personnage est poignant de réalisme. Il est attendrissant, dramatique et saisissant. Quel délice ce petit personnage, ce petit bonhomme qui ne paye pas de mine, simple et délicat. Je souhaite en faire mon héros personnel du roman !
- Regret: la traduction. Dans l'ensemble la lecture est fluide, des passages sont très bien traduits, mais par contre d'autres laissent un sentiment de colère. La traduction laisse parfois à redire sur l'ordre des mots et la ponctuation. Tout reste compréhensible mais quelle frustration de trouver des ":" au beau milieu d'une phrase qui se termine un, voire deux verbes plus loin. De même, quel agacement de trouver une énumération de plus de six groupes nominaux sujets avant d'enfin pouvoir trouver le verbe .... (Petit coup de colère qui ne remet pas en cause la qualité de l'oeuvre d'Ogawa).
En bref, un roman qui intrigue dès sa couverture et qui ne nous déçoit pas au fur et à mesure de l'histoire: l'intrigue va crescendo, le lecteur passe un excellent et déroutant moment de lecture. Un magnifique roman sur la perte et l'oubli ! 8/10
A lire: Une chronique dans LeMonde.fr
Un article très intéressant sur le blog de Perdue dans les livres
Un autre article non moins intéressant chez lael
Auteur: Yoko Ogawa
Traduit par Rose-Marie Makino
Editions Actes Sud
Paru en novembre 2009 (France)
341 pages
Auteur: Yoko Ogawa
Traduit par Rose-Marie Makino
Editions Actes Sud
Paru en novembre 2009 (France)
341 pages
2 commentaire(s):
Félicitations Jo!!!! Il est magnifique ton blog!!! Bienvenue parmi nous!! Magnifique article sur un roman coup de coeur!
très belle note qui reflète bien mon ressenti à cette lecture... Notamment concernant la traduction!
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